
Cour européenne des droits de l’Homme, requête n° 12398/21, 9 juin 2022, L.V. contre la France
Où l’on se rend compte que les autorités françaises ont décidément du mal à respecter le droit européen, que le dialogue des juges est parfois un dialogue de sourd, et que patience et longueur de temps font plus que force ni que rage, mais qu’il faut parfois prendre des chemins de traverse
Dans cette affaire, le requérant a fait l’objet d’une condamnation pénale pour refus de se soumettre à un prélèvement biologique en vue de son inscription au fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) après un long chemin procédural puisque la relaxe initiale prononcée par la Cour d’appel a été annulée par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
De retour devant la cour d’appel de renvoi, celle-ci va se soumettre et entrer en voie de condamnation.
Conscient qu’un pourvoi ne lui donnerait pas satisfaction au regard de la position indéfectiblement inconventionnelle de la Chambre criminelle, il saisit directement la Cour européenne, contournant sciemment la cour de cassation.
La stratégie est, en apparence, audacieuse dans la mesure où l’épuisement des voies de recours internes est l’une des conditions de recevabilité d’une requête introduite devant la Cour (article 35 de la convention). Ainsi, on ne peut, par principe, saisir la Cour si l’on a pas suivi le « cursus contentiosum »interne en allant, nécessairement, jusqu’à la Cour de cassation pour ce qui nous concerne.
Cette stratégie est toutefois couronnée de succès : sachant sa condamnation assurée, le gouvernement français reconnaît, de manière anticipée,
« qu’en l’espèce, la condamnation pénale du requérant pour refus de se soumettre à un prélèvement biologique en vue de son inscription au fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), a méconnu les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme ».
Cette affaire se tient plusieurs années après la première condamnation de la France dans le cadre de la répression du refus de fichage au FNAEG, dans la décision Aycaguer c. France (no 8806/12, 22 juin 2017).
La Cour y rappelait :
« 38. La protection des données à caractère personnel joue un rôle fondamental dans l’exercice du droit au respect de la vie privée consacré par l’article 8 de la Convention. La législation interne doit donc ménager des garanties appropriées pour empêcher toute utilisation de données à caractère personnel qui ne serait pas conforme aux garanties prévues par cet article. La nécessité de disposer de telles garanties se fait d’autant plus sentir lorsqu’il s’agit de protéger les données à caractère personnel soumises à un traitement automatique, en particulier lorsque ces données sont utilisées à des fins policières. Le droit interne doit notamment assurer que ces données sont pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et qu’elles sont conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées. Le droit interne doit aussi contenir des garanties aptes à protéger efficacement les données à caractère personnel enregistrées contre les usages impropres et abusifs (B.B., précité, § 61), tout en offrant une possibilité concrète de présenter une requête en effacement des données mémorisées (B.B. c France, précité, § 68, et Brunet, précité, §§ 41-43). »
Depuis lors, les autorités françaises n’avaient jamais tenu leur engagement de modifier le droit interne et les juridictions répressives internes continuaient allègrement à condamner, à tort, des personnes sur le fondement d’une infraction dont l’inconventionnalité était pourtant établie.
La chambre criminelle de la Cour de cassation refusant obstinément de jouer son rôle de juge de la Conventionnalité, il était évident qu’un pourvoi ne serait qu’une perte de temps pour le requérant, d’où cette saisine « coupe-fil » qui confirme que si un chemin est parsemé d’obstacles procéduraux, d’autres voies existe qu’en réalité, se hace camino al andar.